17

Zuckuss leva les yeux vers le vieux Trandoshéen et frissonna.

— Les choses se sont passées comme vous le souhaitiez, dit-il.

— Parfait ! Je n’en attendais pas moins, répondit Cradossk en hochant la tête.

Je veux bien le croire, pensa Zuckuss.

Il n’aimait pas se retrouver dans les quartiers du chef de la Guilde des Chasseurs de Primes. C’était là que le reptiloïde l’avait entraîné dans le plan qui devait aboutir à la mort de Bossk.

— Vous avez tout vu ? demanda Cradossk. Quand il a été touché ?

— Oui. Il a reçu le coup en pleine poitrine. Il ne s’est pas relevé.

Le sang de Zuckuss se figea dans ses veines quand il vit un sourire s’afficher sur le visage raviné de Cradossk.

— Vous êtes venu dès votre atterrissage ? demanda-t-il, jouant machinalement avec des morceaux d’os prélevés dans son ossuaire. Vous n’avez parlé à personne d’autre ?

Les morceaux d’os étaient des côtes, reconnut Zuckuss.

Il ne put réprimer un frisson.

— Non. J’ai suivi vos ordres, monsieur. Ce que vous m’avez dit quand… quand vous m’avez confié ce travail.

Il était mécontent de lui. Même s’il était revenu de Circumtore à peu près intact, il n’était pas ravi d’avoir accepté de jouer le jeu de quelqu’un qui avait prévu de faire assassiner son propre fils. C’était l’unique but d’un voyage inutile. Et ça lui retournait toujours l’estomac.

Peut-être Boba Fett a-t-il raison, après tout. Je ne suis pas taillé pour être chasseur de primes…

— Je suis content de constater que vous savez suivre des ordres.

Cradossk leva la côte vers ses yeux. Le nom de l’ennemi vaincu était inscrit dessus. Il l’avait gravé avec ses griffes.

— Je suis impressionné par votre… loyauté. Et votre intelligence. Deux qualités qui vous seront utiles dans les temps difficiles qui nous attendent. (Il soupira et posa le souvenir de ses victoires passées à côté de lui.) Combien j’aurais souhaité que mon fils ait ces mêmes vertus ! Ou, en d’autres termes, combien j’aurais apprécié que mon rejeton soit quelqu’un comme vous !

Ouais, pensa Zuckuss. Pour me retrouver mort dès que vous ferez une petite crise de paranoïa ? Merci bien !

— Écoutez-moi, dit Cradossk d’une voix grondante. Si les autres chasseurs de primes de votre génération étaient aussi futés que vous, et aussi respectueux de leurs aînés, beaucoup de problèmes pourraient être évités. L’ennui, c’est qu’ils ont des idées à eux… Comme mon fils. Voilà pourquoi il était de première importance qu’il soit éliminé. Que cela arrive sur un monde lointain, au milieu de créatures aussi cupides et rusées que les Hutts à carapace, donne l’impression que sa mort est le résultat de son incompétence et de sa stupidité. Autant pour ses idées novatrices ! Les méthodes traditionnelles sont les meilleures, surtout quand il s’agit de tuer les autres !

— Vous êtes bien placé pour le savoir, marmonna Zuckuss.

— Avez-vous dit quelque chose ? demanda Cradossk.

Zuckuss secoua la tête.

— Non. Il y avait une bulle. Dans ma combinaison…

— Ah !

Cradossk se replongea dans la contemplation de l’os.

— Il est bon de se souvenir de ces choses. D’être avisé, rusé. Parce qu’il va y avoir beaucoup plus de morts avant que tout se remette en place.

— Que voulez-vous dire ?

Zuckuss savait déjà de quoi parlait le vieux Trandoshéen, mais il posa tout de même la question.

Le vieux prédateur a envie de papoter, se dit-il. Autant lui faire ce plaisir…

C’était poli, et ça ne lui coûtait rien. De plus, d’autres événements étaient en route, et Cradossk ne le soupçonnait probablement pas.

Ça prenait du temps de se préparer…

Il entendit du bruit à l’entrée. Jetant un coup d’œil, Zuckuss vit le majordome de Cradossk, le Twi’lek qui rôdait toujours dans les lieux.

Zuckuss regarda de nouveau le vieux Trandoshéen. Le reptiloïde était toujours plongé dans sa méditation.

Le Twi’lek repartit dans le couloir sans rien dire.

— Ce n’est pas le moment d’essayer de paraître idiot, gronda Cradossk, cassant la côte en deux. Ne prétendez pas que vous n’êtes pas assez intelligent pour comprendre ce qui se passe autour de vous !

— Eh bien…

— Bossk était seulement le premier. Le premier à éliminer. (Il se cura les crocs avec un des fragments de côte.) Il y en aura d’autres. J’ai une liste.

Je veux bien le croire, pensa Zuckuss.

— Tous ne sont pas de jeunes idiots comme mon rejeton. Certains de mes conseillers les plus anciens… Des chasseurs de primes qui ont bu le sang en ma compagnie, pour ainsi dire, pendant des décennies… J’aurais dû prévoir tout ça… Mais comment l’aurais-je pu ? J’appréciais tous ces tueurs !

— Prévoir quoi ?

Zuckuss le savait aussi, mais il se dit que la question garderait Cradossk occupé assez longtemps pour que le Twi’lek ait le temps de terminer sa tournée de conspiration.

— Des traîtres… Des types qui vous poignardent dans le dos… Voilà ce qu’on gagne dans cette galaxie quand on est gentil avec les autres. Je les ai pris avec moi quand ils étaient des charognards minables qui n’auraient pas su quoi faire d’une marchandise si on la leur avait livrée avec un mode d’emploi. J’ai appris tout ce qu’ils savent sur le métier à la plupart des membres de cette Guilde…

— J’imagine qu’il y a beaucoup à savoir…

— Vous pouvez le dire ! Certaines techniques sont mon invention. Si ces minables pensent qu’ils peuvent me prendre tout ça… (Il écrasa entre ses crocs son cure-dent improvisé.) Ils feraient bien d’y réfléchir à deux fois.

— De quels minables parlez-vous ?

La « liste » mentionnée par Cradossk inquiétait Zuckuss. Le vieux Trandoshéen était peut-être sénile, ne prêtant plus attention à qui était son interlocuteur.

Il ne manquerait plus que mon nom soit sur sa fichue liste !

— Ils le savent, tout comme je le sais. Pourtant… Je devrais peut-être éviter de prendre des risques. Faire tuer tout le monde. Éliminer tous les membres de la Guilde, puis repartir de zéro…

Super, pensa Zuckuss.

Boba Fett l’avait prévenu que ça pouvait arriver. Sur le chemin du retour, dans le cockpit de l’Esclave I, il lui avait expliqué comment fonctionnait l’esprit du vieux Trandoshéen. Cradossk avait toujours été parano, bien avant de se hisser à la tête de la Guilde. On pouvait penser que cette caractéristique lui avait permis d’accéder au sommet ou l’avait aidé à s’y maintenir.

Ça n’a sûrement pas été drôle pour ses associés…, se dit Zuckuss.

— D’abord, nous nous débarrasserons des cibles les plus évidentes. Les chiens qui ont déjà annoncé leurs intentions de prendre la tête de la Guilde ou de faire sécession et de créer une autre organisation.

Zuckuss avait déjà entendu parler de ces développements sur l’unité com de l’Esclave I. La faction qui voulait se séparer de la Guilde entendait mettre autant de membres que possible de son côté, particulièrement le grand Boba Fett et ceux qui avaient travaillé avec lui. Avoir fait partie de l’équipe impliquait que Zuckuss et IG-88 étaient très recherchés par les chasseurs de primes qui voulaient fonder une organisation qui ne serait pas contrôlée par des anciens comme Cradossk.

Il était agréable d’être sollicité, tant que Cradossk et ses loyalistes ne se mettaient pas en tête qu’on avait changé d’allégeance.

— Tous ? demanda Zuckuss.

Mieux valait le faire parler de créatures qui ne se trouvaient pas dans ses appartements à ce moment, pensa Zuckuss.

— Vous avez dit… que certains étaient dans la Guilde depuis que vous en assurez le commandement.

— Ce sont ceux-là que je prendrai le plus de plaisir à éliminer ! (Un sourire hideux se dessina sur le visage de Cradossk, comme s’il était déjà en train de savourer les détails de l’opération.) Les plus jeunes chasseurs de primes ont presque des excuses pour être idiots. Ils n’ont pas vécu assez longtemps pour avoir appris ce qu’il faut. Mais les vétérans, ceux qui se sont alliés à eux… Ils auraient pu prévoir comment je réagirai à leur assaut contre la sainteté de notre fraternité.

Zuckuss leva les yeux au ciel. Heureusement, le masque cacha cette réaction à Cradossk. Zuckuss s’était aperçu que la fraternité avec des carnivores, par exemple ceux de l’espèce trandoshéenne, était un concept élastique.

— De grands changements se préparent, dit Cradossk. Tous ceux qui l’affirment ont raison. La Guilde des Chasseurs de Primes sera différente de ce qu’elle était jusque-là. La galaxie appartient désormais à l’Empereur Palpatine, et nous devons en tenir compte. Si ceux qui veulent se séparer de nous avaient attendu le bon moment en restant loyaux à la Guilde, ils auraient probablement obtenu ce qu’ils voulaient.

— Excepté, fit remarquer Zuckuss, quand il s’agit de se débarrasser de vous.

— Exact. C’est la seule chose qui ne se produira pas ! Comptez là-dessus ! La Guilde des Chasseurs de Primes deviendra plus petite parce qu’elle larguera un tas de bagages inutiles. J’aurais dû le voir plus tôt. Certains des aînés de l’organisation ont perdu leur dynamisme. Ils « partiront » les premiers, qu’ils fassent l’erreur de se joindre à ceux qui veulent faire sécession ou pas. Ça laissera pas mal de place dans la hiérarchie de la Guilde. Donc, des possibilités d’avancement… pour quelqu’un comme vous. Un type jeune et futé peut monter très haut. S’il joue la partie comme il faut.

— J’essaierai de faire de mon mieux…

— Ne vous souciez pas de ça pour le moment, dit Cradossk, se grattant le menton. Le plus important pour vous est de bien choisir qui vous voulez suivre. Vous avez commencé en vous mettant à ma disposition. Ne gâchez pas tout en croyant que vous pouvez aussi être ami avec… d’autres factions.

— Qui, par exemple ?

Cradossk ne répondit pas immédiatement. Le regard du vieux Trandoshéen se perdit dans le vague.

— Vous savez, je suppose que la crise, même si ça devait arriver un jour ou l’autre, a été accélérée par un individu en particulier. Sans lui, la Guilde des Chasseurs de Primes aurait survécu pendant un bon moment en dépit des manigances de l’Empereur.

Zuckuss n’avait aucun doute sur l’identité de l’individu en question.

— Vous parlez de Boba Fett ?

— Qui d’autre ? fit Cradossk, hochant la tête. Tout est arrivé à cause de lui. Les changements, ce qui se produira dans l’avenir, les morts… La plupart, en tout cas. Il est le facteur imprévisible qui s’est ajouté à notre équation. On peut se demander quelles étaient ses véritables raisons de se joindre à nous…

— Il nous les a données quand il est arrivé, dit Zuckuss. À cause de toutes les modifications apportées par l’influence de l’Empire…

— Et vous l’avez cru ? (Cradossk secoua la tête.) C’est le moment d’apprendre une leçon de plus, petit. Vous ne pouvez faire confiance à personne. Encore moins à quelqu’un dont le métier consiste à tuer ou à capturer d’autres créatures. Faites confiance à Boba Fett, si vous le désirez. Mais je peux vous assurer que le jour viendra où vous le regretterez.

Une partie de l’esprit de Zuckuss savait que le vieux Trandoshéen disait la vérité. Une autre espérait que le jour où il déchanterait ne se lèverait pas de sitôt.

— Bien… Je dois rentrer chez moi, dit Zuckuss. J’ai encore pas mal de choses à faire. (Il estima que le majordome twi’lek avait eu assez de temps pour contacter tous ceux qui devaient l’être.) Vous comprenez, je n’ai pas pu m’occuper de grand-chose depuis mon retour…

— Allez-y, dit Cradossk, ramassant un morceau de son cure-dent improvisé. Je dois apprendre à contrôler mon tempérament. (Le fragment d’os serré contre sa poitrine, il fit un hideux sourire à Zuckuss.) Ou pensez-vous que ça soit trop tard ?

Zuckuss avait reculé jusqu’à la porte. Il tendit une main et saisit la poignée.

— À vrai dire… Il est trop tard.

— Vous avez sans doute raison, fit Cradossk, l’air soudain plus vieux, comme s’il ployait sous le poids de ses responsabilités.

Se levant, il emporta son macabre trophée vers l’ossuaire où il conservait ses souvenirs de jeunesse.

— Oui, il est toujours trop tard…

La porte des appartements de Cradossk grinça quand Zuckuss l’ouvrit. Il ne sortit pas, mais resta sur le seuil, afin de ne rien perdre de ce qui allait se passer.

Cela demanda seulement quelques secondes.

Bossk se dressa soudain sur le chemin de son géniteur. Le jeune Trandoshéen croisa les bras, un large sourire sur son visage reptiloïde.

Il regarda son père dans les yeux.

— Mais… balbutia Cradossk. Tu es censé être mort…

— Je sais que c’était votre plan, mais je me suis permis d’y apporter quelques modifications.

Cradossk pivota et foudroya Zuckuss du regard.

— Vous m’avez menti !

— Pas sur tout ! Enfin, un peu, quand j’ai dit qu’il ne s’était pas relevé après avoir été touché…

Bossk montra le bandage stérile qui traversait sa poitrine, d’une épaule au-dessous de l’autre bras.

— Ça m’a fait sacrément mal, dit-il en souriant, mais ça ne m’a pas détruit. Vous devriez savoir qu’il est difficile de liquider un être de notre race. Tout ce qui ne nous tue pas renforcera notre rage…

Les yeux jaunis de Cradossk s’écarquillèrent. Il recula.

— Attends un peu…

Le fragment de côte tomba sur le sol quand il leva ses mains écailleuses, les paumes ouvertes.

— Je crois que tu fais des suppositions un peu hâtives…

Bossk lança une main et saisit son géniteur à la gorge.

— Non. Je fais les mêmes depuis longtemps. Longtemps avant de partir pour Circumtore… Et vous savez de quoi il s’agit : il n’y a pas assez de place dans la Guilde pour vous et pour moi.

Le sourire de Bossk s’était effacé. Inutile d’être grand clerc pour voir qu’il bouillait de rage.

— Je ne comprends pas de quoi tu parles, dit Cradossk, essayant en vain de chasser la main fermée sur son cou. La Guilde… nous appartient à tous…

— Je parle de la même chose que vous avez évoquée à l’instant avec Zuckuss. (De sa main libre, Bossk montra les profondeurs obscures de l’ossuaire derrière lui.) J’étais caché là pendant tout votre petit discours. J’ai tout entendu. Ce que vous avez dit sur l’élimination des indésirables… (Bossk resserra sa prise, soulevant le vieux Trandoshéen jusqu’à se qu’il se tienne sur la pointe des griffes des pieds.) Et, devinez quoi ? Je suis d’accord, avec vous. Vous avez parfaitement raison : la Guilde sera plus petite dans un futur proche. Très proche.

— Ne soit pas… idiot… haleta Cradossk. Tu ne peux pas… me tuer… et t’en sortir…

Il griffa le poignet de Bossk, assez profondément pour creuser des sillons sanglants dans sa chair.

Mais son fils ne relâcha pas sa prise.

La voix de Cradossk se fit de plus en plus ténue.

— ai… des amis… des alliés… au conseil de la Guilde…

— Ces vieux abrutis ? Je crains que vous ayez un peu perdu le sens des réalités. En ce moment, des choses se passent dont vous n’avez pas la moindre idée. Si vous n’aviez pas passé autant de temps dans vos appartements à ressasser vos anciennes victoires, vous n’auriez peut-être pas été pris au dépourvu. (Tenant toujours Cradossk par le cou, Bossk l’expédia contre la table située à l’entrée de l’ossuaire. L’impact étourdit le vieux reptiloïde.) Certains de vos chers amis, les anciens dont vous pensez tant de bien, ont compris où était leur intérêt : ils se sont ralliés à moi. Ils attendaient seulement le bon moment pour… comment dirais-je… vous pousser à vous retirer de votre poste. Bien entendu, d’autres aînés n’ont pas été aussi malins. Ils ont persisté dans l’aveuglement. Jusqu’à la fin.

— Que… veux-tu dire ? haleta Cradossk.

— Allons ! Vous savez de quoi je parle ! Disons seulement que j’aurai quelques nouveaux trophées pour mon ossuaire. Les crânes de vos vieux amis…

— Attention ! cria Zuckuss à Bossk.

Quand Cradossk était tombé contre la table, il avait saisi une dague de cérémonie au manche incrusté de pierres précieuses. Les gemmes lancèrent un éclair lumineux lorsqu’il leva l’arme, sa pointe dirigée vers la gorge de Bossk.

Le jeune Trandoshéen n’avait plus le temps d’éviter le coup. Au lieu d’essayer de reculer, ce qui aurait livré une cible plus facile à Cradossk, il baissa la tête et dévia la lame avec le front. L’impact fut assez violent pour faire sauter l’arme des mains du vieux reptiloïde. Elle vola dans la pièce et tomba dans un coin.

D’une main, Bossk essuya le sang qui coulait dans ses yeux.

— Ça ne m’a pas fait mal, dit-il d’une voix étrangement calme. Mais ce que je vais vous faire…

Il secoua la tête, éclaboussant le visage de Cradossk de sang, symbole de la sentence de mort qu’il avait passée sur son géniteur.

Zuckuss entendit des cris et des tirs de blaster monter d’une autre partie du complexe. Cela ne l’étonna pas. Il s’y attendait depuis que le majordome twi’lek était parti prévenir les conspirateurs.

Zuckuss tourna de nouveau la tête vers les appartements privés de Cradossk. Il regarda ce qui s’y déroulait, aussi longtemps qu’il put le supporter. Puis il sortit dans le couloir.

Bossk avait raison sur un point : il était sacrément difficile de tuer un Trandoshéen.

 

Le bruit des armes des conspirateurs fut entendu de beaucoup plus loin.

Pas au sens littéral. La nouvelle fut rapportée à Kud’ar Mub’at par l’intermédiaire d’Identifieur, qui avait relayé les détails à partir des nodes d’écoute implantés à l’extérieur du réseau.

— Excellent, ronronna l’assembleur. N’est-il pas plaisant de voir que les choses se déroulent comme prévu ? Mes plans et mes machinations se réalisent à la perfection. C’est prodigieusement excellent !

Les yeux à facette de l’assembleur examinèrent sa salle du trône, observant la façon dont sa satisfaction et son excitation se répandaient à tous les nodes connectés aux fils de son système nerveux. Même les plus développés et les plus indépendants, comme Bilan, étaient ravis. Ils couraient le long des murs comme s’ils étaient la manifestation physique de la bonne humeur de l’assembleur.

Peut-être se montraient-ils un peu trop ravis, pensa Kud’ar Mub’at. Surtout Bilan : il lui semblait détecter une fausse note dans ses manifestations d’enthousiasme.

Pour un simple node de comptabilité, c’est excessif.

Il réabsorberait ce node-là et commencerait à extrader un nouveau Bilan dès que l’affaire avec Boba Fett et la Guilde des Chasseurs de Primes serait terminée…

Ça ne prendrait pas très longtemps, d’après ce que le node Identifieur avait rapporté à Kud’ar Mub’at. Ignorant les pépiements des sous-assembleurs, l’arachnoïde s’installa plus confortablement dans son lit auto-généré. Quand il fût allongé à sa convenance, il réfléchit plus calmement aux nouvelles.

Inutile de me surexciter alors que je savais que les choses se dérouleraient ainsi.

Les Empires pouvaient s’écrouler. La galaxie se transformerait peut-être un jour en un trou noir. Mais en attendant, Kud’ar Mub’at, ou des créatures comme lui capitaliseraient sur la bêtise des autres créatures pensantes. C’était leur nature, celle des êtres moins avisés étant de se laisser prendre dans les filet qu’on tissait pour eux…

— Parfois, dit-il à voix haute, ils ne comprennent rien jusqu’à ce qu’il soit trop tard. D’autres fois, ils n’apprennent jamais la vérité.

— Que voulez-vous dire ? demanda Bilan, soudain plus calme.

Ce type de curiosité, de la part d’un sous-assembleur, indiquait quel degré d’indépendance Kud’ar Mub’at avait permis au node de développer. Il n’avait pas mentionné de chiffres, et son rejeton avait tout de même voulu comprendre. Un sentiment de fierté paternelle naquit dans l’esprit de l’assembleur. Il serait dommage d’arracher une à une les pattes du node et d’écraser sa coquille pour récupérer les protéines recyclables.

Mais c’était nécessaire…

Kud’ar Mub’at tendit une patte et caressa la tête du petit sous-assembleur.

— Des créatures meurent en ce moment précis, dit-il.

C’était la teneur du message transmis dans le réseau par les nodes Écouteur et Identifieur. Grâce aux moteurs des vaisseaux qu’il avait récupérés au fil du temps et intégrés à la structure du réseau, Kud’ar Mub’at avait fait dériver sa maison-corps à portée de communication de la Guilde des Chasseurs de Primes. Il voulait être aux premières loges et voir d’aussi près que possible le piège qu’il avait tendu se refermer sur ses proies. Sans avoir besoin de recourir à un signal codé envoyé par son contact dans la Guilde !

— Bien entendu, il y aura d’autres morts : cela fait partie du plan.

Un piège conduisait à un autre, comme si la structure du corps de Kud’ar Mub’at avait été transformée en quelque chose d’assez grand pour englober des planètes. La voix de l’assembleur ne trahissait ni sympathie ni remords.

— Même ceux qui croient être de mon côté et qui se pensent encore libres comprendront bientôt la vérité. Personne ne peut s’échapper indéfiniment…

Bilan plia une paire de pattes sur son minuscule abdomen.

— Pas même Boba Fett ?

La question surprit Kud’ar Mub’at. Non qu’il ignorât la réponse, mais qu’un sous-assembleur la pose ! Même pour un node aussi développé que Bilan, cela indiquait un sens de la stratégie que l’assembleur n’aurait pas cru possible.

— Pas même Boba Fett, confirma-t-il.

Il regarda le node comptable, essayant de lire l’expression de son visage étroit, si semblable à une version miniature du sien.

— Comment pourrait-il s’échapper ? Pour ça, il lui faudrait être plus intelligent que moi. Penses-tu que ce soit possible ?

Les yeux multiples de Bilan ressemblaient à des perles noires. Ils brillaient d’un éclat sombre sans révéler ce qui se cachait sous la surface.

— Bien sûr que non, dit le sous-assembleur.

Trottinant autour de Kud’ar Mub’at, d’autres nodes firent écho aux paroles de Bilan.

— Personne n’est aussi intelligent que vous. Pas même l’Empereur Palpatine.

— Exact, dit Kud’ar Mub’at.

Il lui fallait pourtant reconnaître que l’Empereur opérait sur une plus grande échelle.

Parce qu’il est mégalomane…

Palpatine croyait pouvoir mettre la main au collet de toutes les créatures de la galaxie, y compris celles qui n’avaient pas de cou… C’était de la folie. Et c’était stupide. Des choses se passaient sous le nez de Palpatine et il ne les voyait pas, occupé par ses plans galactiques. Des événements que Kud’ar Mub’at avait du mal à suivre : des rumeurs au sujet de Chevaliers Jedi, de Tatooine, d’une poignée d’humains qui y vivaient, ignorant encore leur importance dans ce qui se tramait.

Peut-être certains d’entre eux s’en doutaient-ils, comme le vieil homme qui vivait au bord de la Mer de Dunes…

Heureusement que tous ces problèmes concernent Palpatine et pas moi !

La sagesse véritable consistait aussi à reconnaître et à accepter ses limites.

— C’est exact, dit Bilan, qui avait capté les réflexions de son parent grâce aux connexions neurales. Cela montre combien vous êtes intelligent. L’Empereur Palpatine aurait-il jamais pensé à une telle chose ?

Kud’ar Mub’at éprouva une certaine irritation à l’idée que le petit node avait espionné ses pensées. Il croyait avoir inhibé les neurones qui permettaient aux données de circuler dans les deux sens…

— C’est toi qui es intelligent, dit-il d’une voix affectueuse. Je regretterai beaucoup le jour où je devrais…

Kud’ar Mub’at s’interrompit juste à temps.

— Où vous devrez… ?

Le node regarda son géniteur d’un air intrigué.

— Rien. Ne te fais pas de souci pour ça. Les pensées profondes ne sont pas de ton ressort.

L’assembleur était sûr que le node n’avait pas pu capter cette pensée-là. Celle qui annonçait sa mort imminente.

— Bien entendu. J’ai seulement posé la question au sujet de Boba Fett parce que…

— Oui ?

— Parce que nous aurions dû prévoir une augmentation de ses honoraires après le démantèlement de la Guilde. À moins, bien entendu, que nous ayons d’autres plans concernant l’avenir de Boba Fett…

Le node avait raison. Kud’ar Mub’at se dit qu’il aurait dû y penser lui-même. C’était l’avantage de disposer d’un node aussi bien développé. Tout ce qui échappait à l’attention de Kud’ar Mub’at était repéré par le sous-assembleur.

— Merci, dit l’arachnoïde à la petite créature. J’y réfléchirai.

— En réalité, dit Bilan, j’ai quelques suggestions à faire…

Au cœur du réseau, l’assembleur écouta, comme si un être vivant indépendant lui murmurait des secrets à l’oreille.

 

Boba Fett entendit des cris et des coups de blaster. Comme ils ne semblaient pas se rapprocher, il continua à travailler sur les systèmes d’armements de l’Esclave I.

Après leur départ de Circumtore, ils avaient eu le temps de récupérer les armes et le matériel entreposés dans l’unité de stockage, mais pas de tout remettre en état de fonctionnement.

Fett voulait ramener Bossk à temps pour qu’il conduise le soulèvement contre les aînés.

Le vieux Cradossk devait être mort, pensa Fett. C’était la première chose que Bossk avait juré de faire, après avoir compris que son père avait arrangé les choses pour qu’il se fasse tuer au cours de l’opération Dinnid. Quelques messages codés à la Guilde avaient assuré que la mort de Cradossk correspondrait au début du mouvement de révolte.

D’autres salves de laser retentirent pendant que Boba Fett soudait les connexions principales de l’artillerie.

L’armement de l’Esclave I n’avait pas été prévu pour un démontage rapide. Le remonter était un travail de longue haleine. Fett n’avait aucune intention de le bâcler : sa vie dépendait trop souvent de l’efficacité de ces armes.

De plus, j’ai fait ce que j’avais à faire.

Il vérifia la tension avec une sonde. Satisfait du résultat, il regarda l’isolant autoreproducteur envelopper les câbles d’une gaine jaunâtre.

La plus grande partie, en tout cas, se corrigea Fett.

Les réparations seraient bientôt terminées, mais il savait qu’il lui restait du travail avant que la destruction de la Guilde soit assurée. Un seul fossé entre les anciens et les jeunes arrivistes ne suffirait pas. D’après ses estimations, il resterait autant de gens d’un côté que de l’autre une fois Cradossk retiré de l’équation. Certains aînés, ceux qui avaient toujours renâclé à être conduits par Cradossk, prendraient fait et cause pour les jeunes impatients. Une partie de ceux-ci, n’appréciant pas d’avoir Bossk comme chef, se regrouperaient sous la bannière de ce qui resterait du conseil des anciens.

Mais Boba Fett aurait ses indicateurs et ses partisans dans les deux camps pour lui donner des informations et l’aider à creuser des fossés plus profonds entre les chasseurs de primes. Il y avait désormais deux factions. Bientôt il y en aurait des dizaines.

À la fin, ce sera chacun pour soi, pensa Fett avec une absence totale d’émotion, excepté un désir de voir les choses se réaliser de cette façon.

Il ferma le panneau d’accès de l’Esclave I et fit une inspection visuelle du vaisseau. Tout était en ordre. Le museau du canon-laser pointait vers les étoiles. C’était un instrument de destruction plus efficace que celui que portait D’harhan.

D’harhan était mort. Un autre fragment du passé effacé comme s’il n’avait jamais existé… Un jour, le passé tout entier aurait disparu, absorbé par l’entropie…

Ce qui convenait parfaitement à Boba Fett.

Avec la commande intégrée à son gant, Fett ouvrit le panneau des propulseurs du vaisseau et se mit au travail.

Les tirs de blaster continuaient, semblables au grondement lointain d’un orage.

Un jour, la destruction de la Guilde des Chasseurs de Primes ne serait plus qu’un souvenir.

Mais pas un des siens.

Les souvenirs ne servaient à rien…

L'armure Mandalorien
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